23 février 2020

par Pierrick Fenies

Position : 43°45’ Sud ; 13°30’ Est

Température de l’air : 14,50 °C

Température de l’eau : 15,75 °C

Salinité de l’eau de mer :  35,152 PSU

 

Journée relativement calme, nous continuons de remonter vers le nord. Nous avons terminé de traiter la carotte prélevée la veille et nous nous dirigeons désormais vers les sites que nous n’avions pas pu effectuer en début de mission à cause du trop fort courant de surface, le Courant des Aiguilles, qui passe au sud de l’Afrique.

Cette accalmie est aussi l’occasion pour notre co-chef de mission de faire une présentation sur les enjeux de la campagne ACCLIMATE-2 à l’ensemble de l’équipage, tant pour les scientifiques que pour les marins. Il s’agit d’initier aux enjeux de la paléoclimatologie et puis à la paléoclimatologie elle-même.

Je n’ai pas grand-chose à vous raconter de plus que ce dont je vous ai déjà parlé sur les méthodes de carottages et d’analyses du sédiment. Il me semble donc propice désormais d’aborder avec vous ce vaste sujet que sont la climatologie et la paléoclimatologie. Et pour commencer, j’ai choisi de vous parler du climat.

Tout d’abord, il est important de définir ce qu’est le climat. Une définition très anthropocentrée, mais pas dénuée de sens pour autant, dit que le climat est la moyenne des variations météorologiques sur 30 ans. C’est du moins la définition donnée par le GIEC, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Mais pourquoi 30 ans ?

  1. Parce que c’est la durée d’une génération humaine, cela permet donc d’observer la variation de la moyenne des conditions météorologiques d’une génération à l’autre.

  2. Mais ce n’est pas que cela, plusieurs phénomènes climatiques qui influent fortement sur le climat montrent une cyclicité pouvant atteindre la vingtaine d’années. Il est important d’avoir au moins une occurrence de ces phénomènes au complet pour pouvoir étudier la variation de ces derniers lors des variations climatiques.

Bon et ce climat, comment il fonctionne ?

Pour comprendre cela, il faut d’abord avoir conscience que le climat est la somme du comportement de ses différents compartiments (océan, atmosphère, banquise, végétation, etc…) qui le compose et des interactions entre ces compartiments. Ainsi, par exemple, la variation des températures de l’océan a une conséquence sur l’atmosphère ou encore sur la banquise, entrainant une variation de ces derniers, qui elle-même pas entrainer la variation des autres compartiments. En bref, tout est interconnecté et c’est ce que l’on nomme climat ou système climatique.

En plus de ces compartiments, il faut rajouter ce que l’on nomme des forçages externes. Ils influencent le système climatique mais sans être influencé en retour par celui-ci.

  1. C’est le cas du forçage astronomique perpétré par les cycles astronomiques qui sont le résultat des variations du trajet effectué par la terre autour du soleil et de sa propre rotation autour d’elle-même. Cela va modifier la quantité d’insolation reçue par mètre carré sur Terre entrainant des réchauffements et des refroidissements. Ce sont ces cycles qui contrôlent principalement la variation climatique à long terme au cours des dernières centaines de milliers d’années.

  2. Il existe aussi un forçage tectonique dû à l’activité tectonique de la Terre qui lors de la collision entre les plaques tectoniques entraine la formation de volcans propices aux rejets du carbone dans l’atmosphère ou encore la fermeture de bassin pouvant entrainer l’enfouissement du carbone dans les profondeurs terrestres. Ce forçage influe le système climatique à l’échelle de plusieurs millions d’années.

  3. Enfin il existe un forçage lié à l’activité solaire lui-même que l’on observe soit sur le long terme avec une diminution de l’activité depuis la formation du soleil lui-même, soit à très court terme avec des variations rapides de l’activité solaire selon à cycle de 11 ans. Cependant, cette cyclicité rapide n’a qu’un très faible effet sur le système climatique, surtout en comparaison avec le quatrième forçage dont je vais vous parler juste en-dessous. Pour vous donner une idée néanmoins, la cyclicité à 11 ans ne représente que moins de 0,07°C du réchauffement qui a débuté depuis la seconde moitié du XIXème siècle (Ruddiman, 2013).

Il est désormais temps de parler d’Homo sapiens, c’est-à-dire de nous, et de son influence sur le système climatique. Le cas Homo sapiens est un peu particulier. On aurait tendance à parler de forçage dit « anthropique », causé par l’humain, du fait qu’Homo sapiens n’appartient pas au système climatique « naturel ». Mais ce n’est pas un forçage externe au système climatique comme les trois que j’ai pu vous présenter au-dessus. Non, c’est plutôt un forçage interne au système climatique, qui est influencé par ce dernier tout autant qu’il l’influence. Qui plus est, il joue aussi le rôle d’un compartiment du système climatique en effectuant les deux tâches caractéristiques :

  1. Le transfert de la matière et/ou de l’énergie d’un autre compartiment à lui-même ou de lui-même à un autre compartiment. Prenons l’exemple du carbone que nous allons chercher dans le compartiment « Terrestre » sous forme de pétrole ou de gaz, que nous consommons et que nous rejetons dans le compartiment « Atmosphère ».

  2. Le stockage de cette matière et/ou de cette énergie en son sein. Si l’on prend reprend le cas du pétrole et/ou du gaz, dans des barils ou des citernes. Même si la durée de ce stockage est très faible, il n’en reste pas moins existant.

Ce faisant, il perturbe fortement et durablement les autres compartiments du système climatique ce qui va entrainer des variations internes de ces derniers. Pour l’atmosphère cela se caractérise par une augmentation de la température, pour l’océan de même mais couplé à une augmentation de l’acidité, etc…

En résumé, le système climatique est influencé « naturellement » par des forçages externes dont le plus important au cours du dernier million d’années est, à tout égard, le forçage astronomique qui contrôle la cyclicité des périodes chaudes (interglaciaires) et des périodes froides (glaciaires). C’est ce que l’on pourrait nommer une cyclicité à long-terme en opposition à la cyclicité à court-terme.

En effet, cette dernière existe bel et bien, des changements de températures importants à l’échelle millénaire ou plurimillénaire. Prenons le Younger Dryas par exemple où l’Hémisphère Nord a vu sa température baisser et remonter de 7°C en moyenne sur 1 000 ans, entrainant la disparition de la mégafaune nord-américaine. Ces changements climatiques à court-terme sont dus à des modifications dans les échanges entre les compartiments internes du système climatique.

Dans le cas du Younger Dryas, c’est le compartiment « glace » qui s’est mis à échanger massivement de l’eau avec le compartiment « océan » entrainant une dérégularisation des conditions de ce dernier dans l’Atlantique Nord ayant pour conséquence une baisse de la circulation de ses masses d’eaux. Or la circulation de ces masses d’eaux assure le transfert de chaleurs des basses latitudes (équateurs) vers les hautes latitudes (pôles) avant de la relâcher dans l’atmosphère. Le compartiment « océan » connectant alors avec le compartiment « atmosphère ». En la déréglant, ce transfert est perturbé et cela entraine une baisse des températures dans les lieux qui profitaient de cette circulation chaude de surface remontant vers l’Arctique.

Pour résumer cet exemple : tout est interconnecté ! Une perturbation à l’intérieur d’un des compartiments du système climatique peut entrainer des perturbations dans tous les autres.

Et c’est exactement ce que nous faisons depuis la révolution industrielle. Homo sapiens, nouveau compartiment de ce système climatique, nouveau forçage interne, perturbe ces compartiments en s’accaparant de la matière dans les uns pour la conserver brièvement dans le sien et la relâcher dans les autres.  

Ce faisant, nous sommes donc depuis cette révolution industrielle dans un système climatique qui est perturbé par l’être humain. C’est embêtant parce que les mesures des paramètres physico-chimiques de l’environnement qui servent à donner l’état des lieux des différents compartiments n’ont peu ou pas commencé avant cette fameuse révolution industrielle. Ainsi toutes les mesures que nous faisons de nos jours sont le résultat de cette influence anthropique (humaine).

Et c’est là tout l’intérêt de la paléoclimatologie : l’utilisation d’outils, que nous nommons « proxys », pour reconstituer les paramètres physico-chimiques de l’environnement afin de reconstituer l’état et les variations des compartiments du système climatique d’avant l’influence d’Homo sapiens. Autrement dit, d’avant la révolution industrielle du milieu du XIXème siècle. Cela nous permettra ainsi de comprendre la cyclicité climatique « naturelle », à long-terme ou à court-terme, et d’observer les changements engendrés dans les différents compartiments climatiques lors des réchauffements et des refroidissements précédents afin de nous préparer au mieux à ce que nous allons affronter dans le siècle à venir.

Schéma du fonctionnement « naturel » du système climatique, de ses forçages et de ses compartiments (Ruddiman, 2013) traduit en français par P. Fenies (2020).

Référence: Ruddiman, W. Earth’s Climate: Past and Future. Macmillan Learning, 2013